TRIO POLYCORDES Volume 1

Harpe : Isabelle DAUPS - Mandoline : Florentino CALVO - Guitare : Jean-Marc ZVELLENREUTHER


Créer de toute pièce, l'expression convient idéalement à l'association de trois instrumentistes en quête d'un son original, enracinés - l'amont – dans le principe de la science musicale d'ancienne Egypte pour la harpe comme dans ceux de la musique populaire d'Italie du sud pour la mandoline, et du choc culturel arabo-hispanique médiéval pour la guitare; tendus - l'aval - par le désir de susciter des oeuvres de jeunes compositeurs dont aucun ne peut ignorer lorsqu'il aborde l'écriture l'héritage si intense .Le répertoire officiel d'un tel ensemble demeurait sommaire. Le trio Polycordes en enregistre d'abord deux des partitions les plus célèbres auxquelles il joint deux de ces oeuvres qu'il a souhaitées.



Il y a chez Henze une Italie imaginaire, il en reprend les artifices classiques et les complexes carnavals pour y mêler des aspects de son Allemagne natale, et cela donne, dans "Carillon", un rondeau dont les pans sont alternativement reminiscents d'airs populaires et l'élaboration d'effets de cloches, avec des diaprures harmoniques, au point qu'on entend parfois clairement un glockenspiel ou un célesta. Au milieu du mouvement, une longue séquence carillonnante ajoute au rondeau un troisième élément, des interventions solistes, où chaque instrument à tour de rôle figure un personnage qui semble avoir écouté ces cloches et y réagit, théâtre contenu dans la musique tandis que des célestas virtuels percent sous la peau des cordes pincées. "Récitatif" glisse furtivement devant nous, confiant une cadence à la harpe, sur qui repose une guitare toute nostalgique. La mandoline, qui ne s'est presque pas fait sentir, jette trois petites notes étouffées à la fin, à peine une empreinte, mais bizarrement inquiètes. "Masques" doit cacher quelque chose. Or c'est la pièce la plus courte. Aux échanges des mouvements précédents succède un bloc qu'ourle une écume de harpe. La mandoline joue une mélodie ivre, la guitare se contente d'accompagner sur un motif unique, et elles ne sont guère dans le même ton. Ce bloc ne respire que deux fois; la première est un silence, la deuxième un grand arpège de harpe, un trou pour les yeux, un autre pour la langue.


Petrassi complète Henze, inversant les rapports nationaux. Dans ses œuvres des années 60 auxquelles appartient la Seconde Sérénade, il intègre, à près de 60 ans lui-même, les données de Darmstadt et de l'Ecole de Vienne. On sait peu à quel point il innove dans le domaine de la forme. Ici, son lyrisme atavique requiert de savantes mixtures d'intervalles mélodiques, là une série de petites séquences à l'allure webernienne jalonne la descente vers l'expression de sentiments tendus et douloureux, à qui l'on prête volontiers un caractère autobiographique. L'innovation formelle consistera dans ce cas à attacher des modèles d'écriture a priori hermétiques l'un à l'autre pour les concilier en une suspension du temps. Dans la forme sonate, l'exposition de thèmes opposés ou complémentaires induit l'espace de la tonalité commune, et en quelque sorte Petrassi sauve en la voilant une essence classique qu'il viole en la sauvant, lui assurant une descendance. La fin de la sérénade, de plus en plus bruiteuse, interroge l'avenir, supprime un à un les repères, s'évanouit dans son mystère.


De ces deux oeuvres découle la génération que suscite le Trio Polycordes. Ivan Bellocq écrit pour eux trois courtes pièces ludiques et stables dans leur texture, ...Passage..., le titre l'indique assez, invite les protagonistes à se peupler de figures fugitives et relayées par les trois parties, toujours clairement dessinées et homogènes au fil de leurs enchaînements. La première pièce, en forme d'arche, part du bruit, traverse diverses épaisseurs harmoniques, puis retourne au bruit en effaçant sa trace. La deuxième s'ouvre sur une scordatura au demi-ton inférieur du mi grave de la guitare qui donne à l'ensemble une couleur sombre où se gravent des élans tourmentés. La dernière, Alla Steve Reich, voit son flux répétitif interrompu par un motif de quatre notes. Le guitariste alors réaccorde son bourdon et relance encore une fois la musique. Le motif de quatre notes la happe au passage.


Puisant en un répertoire qu'il maîtrise, François Laurent choisit des airs populaires et anonymes pour en dériver de splendides variations. Comme chez Henze, on perçoit des instruments fantômes, l'ombre résonnante des paysages où ces airs se chantèrent à l'origine. François Laurent maîtrise également nombre d'autres techniques, chaque air donne lieu à l'étude d'une procédure, exploitée profondément, à des glissements de temps d'abord, temps jailli d'une douce figure en imitation, puis le rythme principal de la tarentelle s'éparpille dans les registres, revient sourdement, se dissout subitement, joue avec sa propre image, se reflète indéfiniment, se relève en riant et salue en cadence.

A cela une vieille cantilène, presque un cantique, dévoile les timbres secrets de la guitare, qui entonne comme en se déshabillant pour glisser dans le courant d'une eau de pleine campagne, la mandoline et sa grande sœur bordant la nage du vieil air d'ondulations et de rires. Un chant populaire du 19ème siècle sort alors la tête des fourrés et s'extirpe au milieu de trilles. C'est le plus simple des quatre morceaux, la mandoline nous le livre en mineur du fond de sa mémoire et quand elle le reprend en majeur, elle marche sur l'eau. Jouant de cordes étouffées, de percussion sur le manche des instruments, de tambora sur la caisse de résonance, la seconde tarentelle clôt le cycle brillamment, déployant de vastes courbes qui réalisent en fait l'apothéose de la figure par laquelle celui-ci s'initiait.


Frédérick Martin





De gauche à droite :

Mandoline : Florentino CALVO Harpe : Isabelle DAUPS Guitare : Jean-Marc ZVELLENREUTHER



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Dernière modification : 11/03/05, 17:53:44